L’histoire de Khadija

Khadija est irakienne. Elle porte le sourire de sa souffrance. La quarantaine, mariée depuis 1986 avec un Marocain installé à Bagdad. De cette union, naissent deux enfants mâles. En Irak, on appréciait les Marocains pour leur sérieux, leur amabilité et le soin qu’ils portent à leur travail. Pendant cinq ans, Khadija travaille dans une association de sourds-muets. A la naissance de ses deux garçons, elle s’arrête de travailler pour s’occuper de leur éducation. Son mari, associé avec un Irakien dans une entreprise d’élevage de volaille et de bétail, gagne bien sa vie.

Après la guerre d’Irak, les choses changent. Les islamistes contrôlent tout, surtout le quotidien et la vie des gens. Le couple reçoit des menaces. Tu divorces ou on te tue ! Ses trois cousins, M’hamed, Adil et Karim sont arrêtés par la milice, torturés et exécutés. Sur les cadavres jetés dans une décharge, une cassette-vidéo montrant les supplicies qu’ils ont subies avant de mourir. Leur crime ? L’un des cousins est allé demander à l’imam de la mosquée mitoyenne à sa demeure de baisser un peu le son des haut-parleurs du minaret. Qu’est-ce que tu as contre la parole de Dieu ? Cela a suffit pour assassiner trois innocents. En 2006, ses deux enfants et leurs camarades sont tués à l’école dans une déflagration. Après ce drame, le couple s’installe chez un parent. Leur maison explose une semaine après. Khadija ne veut pas quitter son mari. Ils décident de partir.

A la frontière jordanienne, elle est délestée par des soldats mercenaires de ses bijoux et de l’argent que le couple a réussi à sauver. Ils sont rentrés en Jordanie sans rien. Le Consul marocain à Amman leur délivre des laisser-passer et leur donne un peu d’argent. Khadija se souvient encore avec reconnaissance de cet homme qui a tout fait pour que le couple puisse regagner le Maroc. L’accueil de la famille marocaine a été, pour les deux rescapés, la pire chose qui leur soit arrivée. Sans le sou, ils sont relégués à la terrasse comme des objets inutiles, dit Khadija. Horrifié par ce comportement, un voisin est venu proposer de les loger. Finalement, la mère a cédé une chambre au couple. Khadija tombe en dépression, délire, ne souhaite plus vivre.

Quand il lui arrive de passer devant la Fondation Orient-Occident, elle voit tout le temps des attroupements de subsahariens, de femmes, d’enfants, de jeunes. Elle entend de la musique et le roulement des tam-tam. Elle se renseigne. C’est une fondation qui vient en aide aux migrants et réfugiés mais aussi aux Marocains en situation précaire. Khadija a des connaissances en broderie et en couture. En septembre 2012 elle intègre l’atelier « Migrants du Monde ». Elle essuie ses larmes et dit : « Une grande porte s’est ouverte devant moi. Tout de suite, la Fondation m’a donné de l’argent. Mais plus que l’argent, elle m’a donné l’espoir, m’a sortie de ma dépression, m’a redonné l’envie de me battre et de vivre. Tout le monde me respecte ici et j’ai retrouvé une famille dans cet atelier. Chacune de ces femmes est devenue une parente pour moi, une sœur, chacune d’elle avec sa propre culture, son identité, son histoire, ses adversités… et, devant le drame de certaines, le mien me paraît négligeable. Grâce au travail que je réalise à l’atelier et au salaire que je gagne, le regard de ma belle-famille à mon égard a changé depuis. Je participe aux dépenses de la maison, je donne son argent de poche à mon mari et, de temps en temps, je fais des cadeaux à ma belle-mère. Les miens m’ont menacée, chassée de chez moi, tué mes enfants, mes cousins, dynamité ma maisons. La Fondation, si elle ne peut pas remplacer tout ce que j’ai perdu, m’a offert une certaine sécurité, m’a entourée d’affection, m’a appris un métier et m’a libérée de ma dépendance vis-à-vis de ma belle-famille… »

Sur un éventuel retour en Irak, Khadija a la gorge étranglée par les sanglots. Elle finit par se calmer, sèche ses larmes et ajoute : « L’Irak est mon pays… C’est un très beau pays… Y retourner ? bien sûr… Je rêve de ça tout le temps… mais… » Elle ne termine pas sa phrase. Son rêve ne résiste pas devant ses larmes. Khadija éclate en sanglots.

*Depuis quelques années, Khadija a quitté l’Atelier et a trouvé une nouvelle opportunité d’emploi. Ce témoignage a été recueilli alors que Khadija travaillait encore à la Fondation.

 

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