Comment on se sent quand on est ‘Ness Ness’ ? Une perspective des jeunes sur l’identité transnationale

« Une identité non comprise, non acceptée, implique des lignes de fractures parce que le regard de l’autre est juge ; il vous enferme ou vous libère, il peut vous accepter ou vous rejeter »

Yasmina Filali

Nous sommes Nada et Mariam, deux stagiaires qui ont été réunies par la création de cette newsletter mais en réalité, sans le savoir, nous sommes reliées par bien plus. Nous sommes toutes les deux marocaines-italiennes : le fruit d’une histoire de migration générationnelle et agents de notre propre voyage, nous ramenant à un endroit que nous n’avons jamais réellement quitté mais vers lequel nous sommes « retournés » : le Maroc.

Comme notre stage venait à sa fin, nous voulions laisser notre réflexion par rapport aux missions et au travail de la Fondation Orient-Occident et ce que cela a pu signifier pour nous personnellement, maintenant que nous sommes capables de penser dans le contexte italien et le contexte marocain.

Quand moi, Mariam, je m’introduisais à des marocains et j’expliquais mes origines, j’aimais dire que j’étais « moitié moitié » : ‘ness ness bhal lqahwa’ (moitié moitié comme le café).

Ness ness est le nom associé à une des plus fameuses boissons chaudes au Maroc, moitié de lait moitié de café, qui sont servies dans tous les cafés. Etant capable de décrire très facilement mes conditions à d’autres marocains, avec cette simple métaphore, nous a amené à réfléchir sur la façon dont c’est commun pour des marocains d’expérimenter et de représenter la multitude, d’accueillir la différence en eux-mêmes ; différences qui, de l’autre côté de la Méditerranée, semblent complètement incompatible. Au Maroc, la fusion produite par la migration est une recette bien connue. D’un autre côté, cela nous a aussi permis de réfléchir aux difficultés de s’introduire à d’autres italiens : « je suis italienne mais moitié marocaine », « je suis italienne mais mes parents viennent du Maroc » ou « je suis marocaine mais j’ai grandi en Italie ». Ce sont des mots qui impliquent une exclusion et imposent une exception, des mots qui ne peuvent pas nous permettre de se sentir les deux, marocaines ou italiennes, mais semblent être une excuse ; ces mots peuvent rendre les gens mal à l’aise.

La citation de Yasmina Filali décrit bien ce que chacune de nous a pu ressentir quand d’autres italiens nous demandent « mais d’où vient-tu, vraiment ? ». Beaucoup d’italiens considèrent que questionner quelqu’un par rapport à son identité en se basant sur son « look » est normal, et pensent que l’apparence de quelqu’un peut révéler sa culture et sa nationalité, impliquant qu’il existe une définition « d’italien ».

Aujourd’hui il y a une tendance à vouloir simplifier les catégories d’identité culturelle et nationale. Mais on s’est toujours demandé ce que cela voulait dire d’être italien ? Et si on ne l’est pas ? Est-ce que c’est parler italien ou connaître les chaînes de télé ou les journaux principaux ? Boire du café ? Etre antifasciste ? Préserver le patrimoine italien ? Savoir faire des pâtes ? Célébrer Noël ? Etre née de parents avec un passeport rouge qui étaient eux-mêmes nées en Italie ? Etre clair de peau ? La liste est sans fin et tout le monde peut trouver quelque chose pour s’identifier, cependant il n’y a pas deux personnes qui remplissent ces critères dans le même sens.

Nous sommes tous éduqués pour penser que la nationalité est l’aspect le plus important de notre identité même si c’est clairement fabriqué par l’homme ; même si cela englobe des styles de vie très différents et des personnalités différentes au point que cela se termine à dire tout et rien sur une personne. Les actuels politiques et divisions basées sur les frontières dans le monde nous mène tous à voir notre nationalité comme un aspect primordial de notre identité. Mais d’un coup, l’origine de nos parents devient plus seulement une partie de notre histoire mais aussi une identité pour notre rôle dans la société : voleurs, extrémistes, dangereux pour la société.

Cependant, nous savons tous que l’ »italianité » n’existait pas jusqu’à récemment et cela a perduré comme étant une différence régionale majeure qui a fait de l’Italie une terre diversifiée autant culturellement que géographiquement. Avec la grande variété de dialectes, nourriture, traditions et pratiques, comment le sentiment d’unité s’est-il finalement achevé ? Il y a beaucoup de réponses à cela et l’une d’elle est la migration. A travers le mouvement des personnes et des travailleurs entre les montagnes et les mers, les plaines et les rivières, et leur installation dans des villages et des villes, les communautés se sont mélangées et en vivant les unes à côté des autres, celles-ci sont devenues de plus en plus interconnectées. Même s’il s’agissait d’un processus très difficile à mettre en place, dans lequel les migrants de l’Italie du Sud ont été soumis à beaucoup de discriminations et de racisme (le même que vivent les migrants en Italie aujourd’hui), les mouvements de personnes dans le pays ont contribué à la création d’une identité italienne commune à laquelle, éventuellement, tout le monde pourrait s’identifier. La migration est et a été une force unificatrice, cependant cela continue à être traité avec division, racisme et détestation.

Cela nous mène à deux options : on peut commencer à penser aux frontières comme des entités artificielle qui sont de vraies, et non des indicateurs primaires, de nos identités : une vision qui peut nous mener à une humanité unifiée. Ou on peut utiliser les frontières comme outil pour définir la vie d’une personne, condamnant l’humanité à la division. La première option élèverait la compréhension, nous encourageant à reconnaitre et accepter, en tous êtres humains, la diversité que nous pouvons trouver en chacun de nous. La deuxième option créerait seulement de la non-compréhension, de la peur et de la détestation.

La première était pour moi – Nada – et Mariam la façon de découvrir qu’on était toutes les deux italiennes-marocaines, sans frontières et de notre propre façon. La première option est ce qui a unifié l’identité italienne alors que son peuple a migré d’endroits en endroits, découvrant qu’ils étaient plus similaires qu’ils le pensaient.

La deuxième option est ce qui est derrière toute atteinte de contenir l’identité de quelqu’un dans des boîtes où cette identité suffoque ; ce qui est derrière les jeunes qui sont laissés en marge de la société reproduisant une communauté divisée et cassée et des identités incomprises qui impliquent le risque de mener à la détestation et au désenchantement.

Heureusement, nous ne nous sentons plus prises au piège par ces expressions après s’en être rendues compte… comme la boisson : vous ne pouvez pas séparer le lait du café ; comme vous ne pouvez pas séparer notre identité marocaine de notre identité italienne. Nous sommes un tout, pas deux moitiés séparées. Nous sommes toutes les deux ‘ness ness’ de notre propre façon, nous rendant toutes les deux merveilleusement uniques. Après avoir travaillé ensemble pendant quelques mois, apprenant de plus en plus sur nos vies différentes, nos personnalités, nos espoirs et nos peurs, les difficultés auxquels nous faisons face dans les sociétés marocaines et italiennes, et plusieurs newsletters plus tard, nous avions plus en commun que ce que nous étions différentes.

Notre identité est devenue non pas une raison pour s’unir au milieu de la foule mais quelque chose de beaucoup plus personnel qui ne nous unit pas parce que nous sommes pareilles mais parce que nous avons la volonté d’essayer et de se comprendre chacune.

En tant que stagiaires, l’opportunité de travailler dans les domaines de l’intégration et de la migration à la Fondation Orient-Occident est devenue une affaire profondément personnelle qui nous a permis de réfléchir à nos identités personnelles et aux possibles alternatives de futur. C’était une chance de comprendre clairement quelle voie nous devions choisir : la première.

Le stage et la réflexion nous a mené à continuer notre chemin avec une nouvelle sensibilisation que nous avons appris grâce à notre travail au Maroc. En fait, moi, Mariam, en retournant en Italie pour continuer mon master dans les relations internationales, j’ai rapporté avec moi la philosophie et une mission d’un modèle d’intégration qui m’a fortement inspiré. Pour moi, Nada, c’était une possibilité de vivre pour la première fois au Maroc tout en observant et comprenant des nouveaux modèles d’intégration qui prennent place entre des communautés différentes.

ElenaComment on se sent quand on est ‘Ness Ness’ ? Une perspective des jeunes sur l’identité transnationale